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Inflation : le monstre oublié

On la croyait domptée. Erreur. L’inflation est toujours là, et la crise mondiale des denrées en est la preuve. Pas le choix : il faut regarder le monstre en face.

Si on veut se faire une idée des ravages de l’inflation sur une économie, il suffit d’observer les manifestations que déclenche le prix des denrées dans de nombreux pays : Haïti, les Philippines, l’Égypte, le Maroc, le Sénégal… et la liste est longue.

Au Zimbabwe, la hausse du prix des aliments se conjugue à une dévaluation catastrophique de la devise. Résultat : un taux d’inflation inimaginable de 100 000 %. Toutes les marchandises sont devenues inabordables. Le simple papier de toilette y coûte désormais l’équivalent de 417 dollars. Pas le rouleau complet. Le petit carreau.

Où sévit l’inflation dans le monde ?
Quelques exemples

 

 

Venezuela

28 %

Lettonie

17 %

Russie

13 %

Argentine

10 %

Roumanie

9 %

Chine

9 %

Indonésie

8 %

République tchèque

7 %

Philippines

6 %

Canada

2 %

Données d’avril 2008

Des causes multiples

Évidemment, rien de tel n’est susceptible de se produire chez nous. Ne serait-ce que par respect pour ces populations, il convient de garder une juste perspective. Cependant, cette situation est pour nous aussi un avertissement : tôt ou tard, les causes de la crise nous rattraperont et auront des effets sur notre coût de la vie. Selon les spécialistes, la demande quasi exponentielle des pays en émergence pour l’énergie et les ressources naturelles est à l’origine de cette poussée. Et en ce qui concerne spécifiquement le coût des denrées, on identifie quatre grands facteurs :

  • l’impact de la hausse du prix du pétrole sur les coûts de production des fermiers ;
  • la hausse du coût des fertilisants – qui a le même effet ; 
  • l’utilisation croissante de grains pour produire du carburant, qui crée une rareté : aux États-Unis, 30 % du maïs sert désormais à produire de l’éthanol ;
  • et l’influence croissante, sur les marchés des denrées, de grands fonds d’investissement, qui poussent les cours en fonction de leurs anticipations de profits.

Le ver est dans la pomme

Pour l’instant, le Canada est épargné : grâce à la hausse du dollar, notre pouvoir d’achat, surtout pour des biens importés, a été préservé. De même, les hausses de certains aliments ont été compensées par des baisses de certains autres, comme le montre le tableau ci-dessous. Néanmoins, on constate que les aliments à base de grains, comme le pain et les pâtes, ont sensiblement augmenté cette année. Peu de gens en parlent, mais la miche de pain tranché coûte déjà 40 cents de plus que l’an passé ! En outre, même si certains aliments ont baissé de prix depuis un an, il ne faut pas oublier qu’ils peuvent eux aussi subir de fortes pressions inflationnistes selon les années. Qu’on pense seulement au bœuf : en août 2004, Statistique Canada rapportait une augmentation des prix d’environ 19 % sur l’année précédente !

Selon les économistes, notre période de grâce pourrait tirer à sa fin. Les pays émergents s’apprêteraient à « exporter » massivement leur inflation, et notre panier d’épicerie pourrait être le premier touché, cet automne et en 2009. N’oublions pas que les bœufs et les porcs mangent aussi des grains… et qu’il faut en énergie l’équivalent d’un demi-litre d’essence pour produire un petit steak de 6 onces.

Prix des denrées au Canada
Mars 2007 – mars 2008

 

 

Viande

 

Globalement

0,0 %

Porc

+ 2,8 %

Poulet

+ 2,4 %

Bœuf

- 0,5 %

 

 

Fruits et légumes

 

Globalement

- 19,5 %

Oranges

- 28,6 %

Pommes de terre

- 13,3 %

Pommes

- 7,0 %

 

 

Grains

 

Globalement

+ 8,8 %

Pâtes alimentaires

+ 22,4 %

Farine

+ 21,4 %

Pain

+ 14,5 %

 

 

Autres

 

Riz

+ 4,2 %

Lait

+ 3,2 %

Œufs

+ 2,3 %

Source : Globe and Mail

Vite, la calculatrice

À court terme, ces augmentations pourraient être difficiles pour les familles qui ont peu de marge de manœuvre. Mais à long terme, nous devons tous nous inquiéter. Car la crise des denrées est surtout une invitation à refaire nos calculs.

Il est trop facile, en effet, d’oublier que l’inflation est une marée qui, jour après jour, érode notre pouvoir d’achat et, donc, la valeur de nos économies. Même un taux modeste de 2 ou 3 % peut avoir des effets catastrophiques sur 20, 30, ou 40 ans, au moment où on voudra ralentir ou prendre sa retraite. À cet égard, le site web de la Banque du Canada met à notre disposition un outil très pratique. En quelques clics, on peut voir :

  • l’impact qu’a eu l’inflation sur le coût de la vie depuis plus de 100 ans ;
  • la valeur qu’aura un placement donné, dans x années, après inflation.

Les deux exemples suivants ont été obtenus à l’aide de cet outil.

Quand l’inflation gruge la qualité de vie
  • Si un ménage avait besoin de 40 000 $ pour assurer son niveau de vie en 1980, ce même ménage a besoin de 106 000 $ aujourd’hui.
  • Si on suppose un rendement après impôt de 4 %, un placement de 100 000 $ générera 119 000 $ en revenus d’ici 2028. Pourtant, il ne vaudra toujours que 121 000 $ si l’inflation moyenne est de 3 % durant cette période.

Bien étudier sa situation

Cela dit, le taux global d’inflation n’est qu’une donnée générale. L’impact de toute hausse des prix varie selon le type de marchandise touchée et le degré de dépendance de chaque personne à cette marchandise. Par exemple, les ménages qui vivent loin de leur travail et ont deux voitures sont directement touchés par la hausse du coût de l’énergie présentement. Ceux qui ont plusieurs bouches à nourrir le seront probablement l’hiver prochain. Et si les banques centrales haussent leurs taux pour freiner l’inflation, ceux aux prises avec de grosses hypothèques ou de lourds emprunts le seront à leur tour.

Une seule solution : toujours faire ses calculs sur la base d’hypothèses réalistes – et solliciter des conseils qui permettront de prendre le contrôle à long terme de la situation.