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Insaisissabilité des REER : affaire réglée ?

La Loi 136 qui, en principe, rétablit l’insaisissabilité des REER contractés auprès des compagnies d’assurances et des sociétés de fiducie, est pleinement en vigueur depuis le 1er mars dernier. Soulagement ? Oui, mais…


C’est malheureux, mais il nous faut le reconnaître : personne n’est totalement à l’abri d’un revers de fortune. Et si ce malheur vient mettre nos biens en danger, il peut être rassurant de savoir qu’à tout le moins, les sommes qu’on a mises de côté en vue de la retraite, elles, sont protégées contre nos créanciers.

C’est pourquoi les personnes qui ne disposent pas d’un fonds de pension de leur employeur (ce qui est le cas de près de deux Québécois sur trois), sont concernées au premier chef par la Loi 136, qui vient d’entrer en vigueur. En effet, alors que les fonds de pension privés, en raison de leur structure même, sont formellement reconnus comme insaisissables par la Loi, les REER ne l’ont toujours été qu’à certaines conditions, dont l’interprétation était sujette au jugement de la Cour.

Clarifier la situation

C’est précisément pour mettre fin à une incertitude qui règne sur cette question depuis le milieu de 2004 que le gouvernement québécois a proposé sa Loi 136, à l’automne dernier. En mai 2004, en effet, dans la désormais célèbre affaire Thibault, la Cour Suprême avait statué qu’un REER réputé insaisissable par une institution financière ne répondait pas aux conditions qui l’auraient effectivement protégé contre les créanciers, en vertu de la loi québécoise. Or, en juin de la même année, la Cour d’appel de l’Ontario, elle, devait rendre un jugement inverse dans un cas similaire, l’affaire Perring, bien qu’aucune loi ontarienne ne protège spécifiquement les REER !

Il était donc impératif que la situation soit clarifiée, ce que la Loi 136 s’efforce de faire.

Bien comprendre la loi

Il faut savoir que ce problème n’est pas particulier au Québec. En effectuant un bref relevé de la législation dans le domaine, on découvre pas moins d’une demi-douzaine de lois provinciales qui, chacune à sa façon, essaient de circonscrire cette question. Avant que le Québec n’adopte sa Loi 136, seules la Saskatchewan et l’Île-du-Prince-Édouard avaient des lois visant à protéger formellement les REER en cas de faillite. Ce n’est donc pas une situation facile à régler pour le législateur.

Alors, que vient donc changer, précisément, la Loi 136 ?

  • D’abord, il importe de comprendre qu’elle ne vient pas rendre tous les REER insaisissables ! Si un REER est détenu auprès d’une banque, d’une caisse, d’une société de fonds mutuels ou d’un courtier en valeurs mobilières, il y a de fortes chances que la loi ne s’y applique pas.

  • En fait, la Loi 136 vient préciser les conditions en vertu desquelles un REER peut être réputé insaisissable. Pour résumer la chose, on peut dire que sont insaisissables les REER qui présentent sensiblement les mêmes caractéristiques qu’un fonds de pension d’employeur sur les points suivants :

    • la non-maîtrise et l’absence de contrôle sur les fonds ;
    • l'incapacité d’effectuer des retraits partiels ou totaux du capital accumulé avant l’échéance ;
    • la détermination de la rente périodique qui sera générée par le capital ;
    • la désignation d’un bénéficiaire, celle-ci devant respecter des règles très strictes.

  • En somme, seuls les REER associés à des contrats de rente rédigés de façon à respecter spécifiquement ces critères sont insaisissables aux termes de la loi. De tels REER, typiquement, ne sont offerts que par les compagnies d’assurances et les sociétés de fiducie.

Que faire ?

Il ne faut pas oublier que la Loi 136 n’est qu’un élément de la législation qui détermine l’insaisissabilité des REER. Le gouvernement fédéral a lui aussi un projet de loi au four, le bill C-55, qui pourrait entrer en vigueur en juin prochain. Cette loi, qui aura normalement préséance sur la Loi 136, inclura vraisemblablement plusieurs conditions qui feront en sorte que seule une portion du capital placé dans le REER sera protégée. En outre, tous les juristes s’entendent pour dire que ni la Loi 136 ni le projet C-55 ne clarifient toute la situation et que ce travail délicat reviendra, une fois de plus, à la Cour.

En attendant, il serait sage de s’assurer, à tout le moins, que le contrat de rente lié à son REER a été modifié, si besoin est, pour être conforme aux exigences de la Loi. C’est là une précaution d’autant plus importante pour les personnes qui sont à leur compte ou sont propriétaires de PME, puisque leur activité professionnelle est plus à risque et que leur REER constitue probablement l’essentiel de leur épargne-retraite.

Peut-être aucun REER ne sera-t-il jamais aussi protégé qu’un fonds de pension… Mais mieux vaut mettre immédiatement toutes les chances de son côté !